Doppelklänger
Durée : 13'37.
Effectif instrumental : piano préparé et amplifié solo.
Date de composition : juin 2008.
Commande : BERLINER KÜNSTLERPROGRAMM du DAAD.
Création mondiale : Heather O'DONNELL, festival Inventionen (Berlin, DE), 25/07/2008.
Autres concerts : Frederike MÖLLER (ensemble NOTABU), Tönhalle Düsseldorf (DE), 05/11/2016. Jan MICHIELS, Musiekcentrum De Bijloke (Gand, BE), 10/11/2015. Lluïsa ESPIGOLÉ (ensemble CROSSINGLINES), festival Mixtur (Barcelone, ES), 25/04/2015. Stephen GOSLING, Spectrum (NYC, US), 22/09/2012. Heather O'DONNELL, Musikakademie Rheinsberg (DE), 21/05/2010. David CHEVALIER (ensemble L'ITINÉRAIRE), Auditorium Saint-Germain (Paris), 16/02/2010.
Notice de programme
Le titre Doppelklänger est dérivé du terme allemand « Doppelgänger ».
« Doppelgänger » signifie « double » ou « sosie » et est employé dans le domaine du paranormal pour désigner le double fantomatique d’une personne vivante, ou un phénomène de bilocation (autre soi-même, visible en un autre point de l’espace).
C’est un thème qui peut aussi bien s’inscrire dans le champ littéraire (Jean-Paul, Guy de Maupassant, etc.) que psychiatrique au sein duquel on peut choisir d’interpréter ce phénomène comme un trouble mental de dissociation de la personnalité.
Dans le cadre de mon séjour à Berlin, alors que je vivais à l’étranger pendant une longue période pour la première fois, avec l’idée d’émigrer dans cette ville, j’ai rapproché ce thème de « Doppelgänger », et cette expérience de dédoublement corporel ou de dissociation psychique, de la sensation d’exil très intensive et douloureuse, par moments. La perte de repères et l’impression de flottement qui en résultait engendraient une sorte de bilocation, dans le sens où une partie de moi se sentait à Berlin, quand l’autre se vivait comme restée à Paris.
La pièce tente de retracer cette expérience et l’acte d’écriture était, dans ce contexte précis, vécu comme un acte libérateur avec la possibilité de se défaire de cet inconfort psychoaffectif, de retrouver une unité psychique et la sensation d’une place plus définie ou, au contraire, d’accepter une place indéfinie.
Ce travail d’arrachement ou de migration qui a pris neuf mois (durée de la période précédant l’enfantement...) donne son architecture à la pièce qui s’articule autour de neuf petites structures, neuf petites constructions clairement perceptibles, à l’exception de la dernière plus elliptique car le processus est achevé. Malgré le retour persistant de ces structures, leur organisation est progressivement ébranlée en raison de diverses altérations (migration mélodico-harmonique de l’armature, liquidation progressive du matériau, etc.).
Ces structures fonctionnent sur un double niveau. Le premier niveau énonce une armature de quelques notes dont l’allure récurrente est repérable malgré les distorsions du matériau. Il rend compte de la résistance de points d’ancrage et du refus d’abandonner les schèmes comportementaux utilisés jusque-là.
Le deuxième niveau développe une gravitation d’unités minimales autour de ces points d’ancrage. Il est le moteur d’une mutation possible, soit par la disparition progressive de ces unités, soit par leur prolifération. On a donc une sorte de dualité sonore qui est écartelée entre la répétition de formules quasi conjuratoires et la mobilité d’« échappées » de points et lignes qui induisent une extension du territoire sonore.
Cette structure déjà constituée d’une double face révèle, à l’issue de son parcours de mutation, une autre double structure constituée de petits motifs de trois sons, joués sur les cordes du piano, qui émergent de façon fugitive et fragmentaire pendant que de courtes courbes chromatiques commencent à apparaître. Cette sorte de structure cachée est progressivement dévoilée, ce qui induit une bascule vers une autre scène sonore que souligne son timbre généré par le jeu sur les cordes de l’instrument.
Double scène et source sonores, double structure, double timbre. Doppelklänger ne désigne pas seulement la présence d’un double son, mais le processus, les trajectoires de dédoublement, de bilocation, de déterritorialisation du son dans plusieurs espaces (aussi bien musical que matériel) et la tentative de maintenir une cohérence malgré ces entités séparées.
Clara Maïda, juin 2008
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